jeudi, juillet 19, 2007


[...] Les tièdes voluptés des nuits mélancoliques
Montaient autour de nous du calice des fleurs.
Les marronniers du parc et les chênes antiques
Se berçaient mollement sous leurs rameaux en pleurs.
Nous écoutions la nuit ; la croisée entrouverte
Laissait venir à nous les parfums du printemps ;
Les vents étaient muets, la plaine était déserte ;
Nous étions, seuls, pensifs et nous avions quinze ans.
Je regardais Lucie. - Elle était pâle et blonde.
Jamais deux yeux plus doux n'ont du ciel le plus pur
Sondé la profondeur et réfléchi l'azur.
Sa beauté m'ennivrait; je n'aimais qu'elle au monde. [...]
"Lucie", Alfred de Musset


Tracy Chapman - in the dark
Veille de majorité. Ca fait quoi, de passer de l'autre côté de la barrière ?
Avoir 18 ans, ça ne veut rien dire ; j'étais déjà vieille à 11 ans, j'avais déjà compris que le temps qui nous est imparti sur Terre est limité et de durée incertaine, je savais déjà qu'on ne pouvait jamais compter que sur soi et que l'être humain est un animal fondamentalement seul. J'ai conscience depuis des années de l'inutilité et de la contingence de notre présence au monde, et je n'ai foi en rien, sauf peut-être en moi.
- Alors, parfois on se demande, à quoi bon continuer de lire, de travailler, d'avancer, puisque la mort est toujours au bout du chemin ? On doute durant quelques secondes, on panique un peu, on est secoué par l'anxiété - ce sont ce que j'appelle les moments de lucidité ; ces courts instants d'asphyxie, à côté du réel, cette sensation d'être un poisson qu'on tire hors de l'eau et qui s'étouffe à l'idée du vide et du néant. Et puis, une caresse, un sourire de mon frère, la chaleur d'une maman, la douceur du soleil, le plaisir, simplement, et le bonheur d'exister et de se sentir vivant refait surface. Heureusement.
On ne fait pas le bilan de sa vie à 18 ans : on n'a pas encore vécu. On n'a jamais aimé. On attend l'heure venue où, pareille à la belle de nuit au crépuscule, il sera temps de s'ouvrir au monde et de s'épanouir. De vivre; enfin.

Soyons honnêtes, avoir 18 ans ne m'avance à rien : au contraire, je perds ce que j'ai de plus précieux. Alors ce soir je suis en deuil : j'enterre ma vie de jeune fille.
Littéralement.